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Investissements d'avenir : guide pour une réforme équitable de la tarification de l'énergie

Le monde consacre des milliards de dollars dans les subventions pour les combustibles fossiles alors que des centaines de millions de personnes sont plongées dans la pauvreté. Nous devons changer nos priorités si nous souhaitons que l'humanité et la planète survivent. En moyenne, 423 milliards de dollars sont consacrés chaque année à la subvention de la consommation de combustibles fossiles (pétrole, électricité, gaz et charbon), soit quatre fois le montant engagé par les pays développés pour venir en aide aux pays pauvres dans la lutte contre le changement climatique. Les subventions aux combustibles fossiles sont un facteur d'inégalité stupéfiant : la moitié de leur montant profite aux 20 % de la population les plus riches. Une nouvelle étude du PNUD révèle que le montant total alloué à ces subventions pourrait éliminer quatre fois la pauvreté énergétique mondiale ou payer la vaccination à la COVID-19 de chaque individu dans le monde. Or, ces fonds, payés par les contribuables, finissent par creuser les inégalités et par entraver l'action contre le changement climatique. Nous savons par expérience que la réforme des subventions aux combustibles fossiles est difficile et échoue souvent, car ces subventions sont destinées à protéger le pouvoir d'achat des consommateurs contre la volatilité des prix en maintenant les prix de l'énergie à un niveau inférieur au coût d'approvisionnement ; l'impact des réformes se fait souvent sentir sur les revenus des populations pauvres et vulnérables. Le prix de l'énergie est un sujet extrêmement volatile et politique - comme le montre actuellement la hausse des prix de l'énergie en Europe, et la façon dont les citoyens et les gouvernements réagissent à cette hausse. Pour faciliter les réformes énergétiques transformationnelles, le PNUD a publié un guide d'introduction qui présente une analyse et des conseils pour aider les gouvernements qui cherchent à mettre fin à leur dépendance aux combustibles fossiles et à passer à une économie verte grâce à une réforme bien conçue de la tarification de l'énergie, qui soit juste et équitable. La pandémie mondiale a bouleversé le monde, mais elle offre aussi une occasion unique de ré-imaginer l'avenir. C'est pourquoi, plutôt que de revenir aux pratiques habituelles, le PNUD exhorte les citoyens du monde entier à saisir cette occasion pour assurer une transition juste et écologique, pour investir dans les personnes et la planète, et pour veiller à ce que nous atteignions ensemble les ambitions des Objectifs de développement durable (ODD).

Pourquoi s'attaquer aux subventions aux combustibles fossiles ?

Le 9 août 2021, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a publié son sixième rapport d'évaluation tant attendu. La conclusion est claire : le changement climatique est bel et bien là et constitue la crise majeure de notre époque. Ce phénomène s'intensifie, s'accélère et est dû à notre utilisation des combustibles fossiles - environ 90 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) proviennent des combustibles fossiles et de l'industrie. « La sonnette d'alarme est assourdissante et les preuves sont irréfutables », a déclaré le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, précisant que le rapport n'était rien de moins qu'un « code rouge pour l'humanité ». Selon les experts du GIEC, il est encore temps d'éviter les pires conséquences du changement climatique. En réduisant fortement et durablement les émissions de CO2 et d'autres gaz à effet de serre, on pourrait rapidement améliorer la qualité de l'air et, d'ici 20 à 30 ans, stabiliser les températures de la planète. Cependant, bien que l'objectif soit connu de tous, nous continuons à traîner des pieds en route vers une crise planétaire. Le secteur de l'énergie, alimenté par les combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), est le principal responsable du changement climatique, la seule façon de sortir de cette crise est d'abandonner les combustibles fossiles. Il s'agit là d'un défi colossal. Dans les pays industrialisés, le charbon et le pétrole constituent la principale source d'énergie depuis des siècles. Nos économies modernes se sont développées grâce aux combustibles fossiles, et ces derniers restent fortement liés à nos modes de production et de consommation. Au fil du temps, l'accès à une énergie moins chère étant communément considéré comme un élément essentiel pour lutter contre la pauvreté, améliorer les indicateurs de développement humain et promouvoir le développement industriel, les gouvernements ont introduit des mécanismes pour subventionner à la fois la production et la consommation de combustibles fossiles. De ce fait, l'ensemble de notre système énergétique est faussement tarifé et orienté artificiellement vers les combustibles fossiles - et l'énergie bon marché issue des combustibles fossiles est devenue la norme dans de nombreux pays. Les gouvernements utilisent les recettes publiques pour procéder à des transferts directs ou induits sous forme de mesures de soutien des prix : chaque année, si l'on tient compte des impacts externes négatifs notamment sur l'environnement, le climat et la santé publique, le coût « réel »des combustibles fossiles pourrait atteindre près de 6 000 milliards de dollars par an, soit une somme astronomique de 11 millions de dollars par minute. Tout cela se produit dans un contexte de retournement économique.

Compte tenu de la part que représente le secteur de l'énergie dans les émissions de carbone, les pratiques actuelles en matière de subventions sont devenues une des principales causes de la crise planétaire - qui frappe de plein fouet les plus pauvres et les plus vulnérables - et de problèmes plus vastes comme la pollution de l'air et de l'eau, qui sont ressentis de manière particulièrement aiguë. On estime actuellement que la pollution atmosphérique est à elle seule à l'origine de 7 millions de décès prématurés dans le monde chaque année, dont 90 % surviennent dans les pays en voie de développement. Réformer les subventions en faveur des combustibles fossiles serait donc bénéfique pour la santé et le bien-être des personnes. Cela contribuerait également à réduire les émissions de CO2 : une étude portant sur 26 pays en développement a révélé que la suppression des subventions permettrait de réduire les émissions de 6,4 % en moyenne d'ici 2025, comparativement à ce qui se fait habituellement. La réorientation des réformes des subventions aux carburants représente un premier pas vers une tarification correcte de l'énergie, afin de refléter le coût réel et intégral de l'utilisation des combustibles fossiles sur la société et l'environnement. Mais ces réformes peuvent également être préjudiciables aux ménages pauvres et vulnérables si elles sont mal conçues. Si les subventions aux combustibles fossiles sont régressives - et constituent de ce fait un outil générateur d'inégalités - elles représentent également une part importante des revenus des plus pauvres qui seraient sinon payés pour la consommation d'énergie. C'est pour cette raison que le PNUD a conçu un guide pour une réforme équitable de la tarification de l'énergie comportant des mécanismes de protection des revenus et de compensation pour les groupes les moins favorisés - qui harmonisent les incitations pour une transition énergétique verte et juste, et qui sont élaborés à partir d'un vaste engagement intersectoriel.

La réforme de la tarification de l'énergie : un défi colossal.

Il convient de dissiper le mythe selon lequel il faut choisir entre le climat et l'économie. L'action climatique est à la fois une exigence économique et une opportunité. Elle crée des emplois - plus de 30 millions d'emplois pourraient être créés dans le secteur des énergies propres, de l'efficacité énergétique et des technologies à faibles émissions d'ici à 2030. Les économies qui n'investissent pas aujourd'hui afin de devenir plus résistantes au changement climatique risquent de payer le prix fort dans un avenir proche. On estime qu'une trajectoire inchangée, tributaire des combustibles fossiles, réduira de moitié la richesse mondiale d'ici le milieu du siècle. Et les dommages provoqués par le climat coûteront 551 000 milliards de dollars à l'économie mondiale. Dans le contexte de la crise de la COVID-19 et de l'urgence permanente de la crise climatique, la « relance verte » et l'opportunité de « reconstruire en mieux » sont bien plus que des termes à la mode. Des recherches approfondies révèlent que la plupart des pays auraient intérêt à mettre en œuvre des politiques d'atténuation en accord avec les objectifs de l'Accord de Paris. La transition énergétique offre des avantages considérables en matière de développement local : une meilleure santé grâce à un air plus pur, une croissance et des emplois durables, et une consolidation des finances publiques. Par exemple, l'Organisation internationale du travail estime que le fait de limiter le changement climatique à 2 °C entraînerait la création d'environ 24 millions d'emplois et la perte d'environ 6 millions d'emplois dans les industries à haute intensité de carbone, ce qui se traduirait par une augmentation nette de 18 millions d'emplois d'ici 2030. Cependant, à ce jour, dans le cadre de leurs plans de relance post-COVID-19, les pays du G20 consacrent des sommes plus importantes aux combustibles fossiles qu'aux énergies propres, les combustibles fossiles représentant 40 % de l'ensemble des fonds publics affectés au secteur de l'énergie et les énergies propres 37 %. Cela tient en grande partie au fait que la réforme de la tarification de l'énergie - qu'il s'agisse de supprimer peu à peu les subventions ou d'introduire des mesures de tarification du carbone - est un sujet extrêmement sensible sur le plan politique. Les groupes industriels et de consommateurs qui sont les premiers touchés par les décisions relatives à la tarification de l'énergie exercent souvent une puissante influence politique. Si l'on supprime les subventions aux combustibles fossiles sans mettre en place des mesures incitatives adéquates dans tous les secteurs et à différents niveaux de l'administration, et sans investir dans la protection sociale, les mécanismes de compensation et les énergies propres, on risque de perdre des emplois, d'accroître la pression sur les ménages et de provoquer des troubles civils. Nombre de gouvernements ont encore une perspective économique à court terme, liée au besoin d'être réélu, et sont donc incités à s'en tenir au statu quo. La COVID-19 a mis en évidence le fait que de nombreux gouvernements disposent du capital politique nécessaire pour introduire des mesures fortes en temps de crise. Mais cette crise a également fait ressortir à quel point il est essentiel que ces mesures soient acceptées par les populations comme étant des mesures efficaces. Les gouvernements peuvent intervenir et atténuer les effets néfastes de ces crises - et aujourd'hui plus que jamais, ils doivent saisir cette opportunité unique d'investir dans un avenir durable et meilleur pour tous. De nombreuses réformes en matière de tarification de l'énergie ont échoué parce qu'elles étaient mal conçues, mal planifiées, mal programmées ou mal communiquées. Pour réussir à faire passer de telles réformes, il faut bien saisir les enjeux politiques, sociaux et stratégiques qui sont étroitement liés. Bien menée, la lutte contre les prix trop bas des combustibles fossiles serait une étape décisive dans une transition juste vers des économies vertes.

Guide du PNUD pour une réforme équitable de la tarification de l'énergie

Dans son document intitulé : « Investissements d'avenir : guide pour une réforme équitable de la tarification de l'énergie », le PNUD préconise une réforme en deux étapes, dans laquelle la chronologie est essentielle. La première étape consiste à identifier les façons de réorienter les réformes des subventions aux combustibles fossiles afin qu'elles soient progressives, qu'elles ne contribuent pas à accroître la pauvreté, qu'elles soient socialement justes et économiquement équitables. La seconde étape consiste à introduire les mesures de tarification du carbone les mieux adaptées aux contextes nationaux. Grâce à deux études, le PNUD fournit une analyse et des conseils aux gouvernements pour les aider à mettre fin à leur dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles et à passer à une économie verte par le biais de réformes bien conçues en matière de tarification de l'énergie. Le guide présente les expériences et les meilleures pratiques en matière de réforme de la tarification de l'énergie en comparant les résultats et les forces motrices dans cinq pays sélectionnés en vue d'illustrer l'impact de différents choix de mise en application dans des contextes sociaux, économiques et politiques divergents. Il fournit également une analyse complète des outils de tarification du carbone et des conseils quant aux outils les mieux adaptés à des contextes nationaux spécifiques.

Étape 1 : supprimer progressivement les subventions aux combustibles fossiles

Une réforme des subventions à l'énergie fondée sur un mécanisme bien conçu visant à les supprimer progressivement - ce qui constitue en soi une démarche ambitieuse - est un premier pas important vers la mise en place d'une tarification du carbone dans de nombreux pays en voie de développement.

Les travaux de recherche du PNUD soulignent en effet qu'il convient, dans un premier temps, d'assurer l'acceptabilité sociale et politique pour garantir le succès de la réforme de la tarification de l'énergie. Outre leur impact sur l'environnement, ces réformes doivent être équitables sur le plan social et économique. Cette acceptabilité dépend de tendances sociales, économiques et politiques plus larges, notamment du degré de confiance du public dans les institutions gouvernementales. Les facteurs liés à l'économie politique sont essentiels à une mise en œuvre réussie - et dans les contextes dépendant de l'extraction de combustibles fossiles, une bonne compréhension de la politique d'allocation des revenus des ressources et de la gouvernance des ressources est indispensable. Pour favoriser des résultats plus acceptables sur le plan social et politique, il est essentiel de renforcer les systèmes de protection sociale et d'élaborer des systèmes de compensation équitables permettant de se mettre à l'abri des hausses de prix. De telles réformes pourraient se concentrer dans un premier temps sur l'extension et le renforcement des mesures sociales existantes, notamment en ce qui concerne les mécanismes de transfert de fonds. De nombreuses études de cas présentées dans ce document démontrent que les contraintes d'ordre technique et de capacité entravent la mise en œuvre de mesures complémentaires. Le renforcement et l'extension des programmes sociaux nécessitent des efforts plus poussés en matière de développement des compétences institutionnelles et techniques. La réussite d'une réforme des subventions passe également par une communication publique efficace et un réel engagement de la part des parties prenantes. Au Chili par exemple, fin 2019, une augmentation des tarifs des bus et des métros publics, due en partie au coût du carburant, a déclenché des protestations dans la mesure où elle était ressentie par les populations les plus pauvres de la capitale. Cette situation a marqué le point de départ d'une agitation civile plus généralisée portant sur d'autres questions sociales en partie liées à la concentration des richesses et du pouvoir politique ; elle a finalement abouti à une modification de la Constitution.

Étape 2 : fixer le prix du carbone

L'introduction d'une taxe sur le carbone ou d'autres formes de tarification du carbone est souvent considérée comme un outil politique efficace sur le plan environnemental mais très délicat sur le plan politique. Le choix de ces outils dépendant des contextes socio-économiques et politiques propres à chaque pays, le guide fournit une analyse complète des outils de tarification du carbone et des conseils sur les outils les mieux adaptés.

Les recherches du PNUD révèlent que :

parmi les solutions politiques permettant d'imposer un prix explicite du carbone figurent une taxe, un système d'échange de quotas d'émission (ETS) et des mesures associant des caractéristiques de ces deux systèmes. Les taxes peuvent être, par exemple, prélevées sur la production, la consommation ou la commercialisation de l'énergie. Les législateurs peuvent contrôler le volume des émissions dans le cadre d'un système d'échange de quotas d'émission. Et enfin, les mesures dites « hybrides » allient des aspects de ces deux politiques en fixant un plafond aux émissions mais en limitant la fourchette de variation des prix.

Les mesures de tarification du carbone visent à augmenter le coût des carburants et des technologies polluantes. Mais si elles ne sont pas planifiées ou conçues correctement, ces taxes sur le carbone peuvent entraîner des troubles civils.

Les mesures de tarification du carbone sont efficaces en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d'augmentation des revenus. Contrairement aux autres mesures telles que les réglementations sur le rendement énergétique ou les subventions en faveur des technologies à faible émission de carbone, la tarification du carbone a le potentiel de mobiliser des milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires chaque année, ce qui pourrait contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Au total, ces mesures pourraient résoudre les problèmes de financement fréquents rencontrés par de nombreux pays en voie de développement.

Le mouvement international en faveur de la tarification du carbone s'accélère. Au niveau mondial, plus de 60 initiatives de tarification du carbone ont été mises en œuvre. 96 des 146 Contributions déterminées au niveau national (CDN) font actuellement référence à la tarification du carbone comme étant une option politique. Toutefois, les politiques actuelles demandent à être étendues, renforcées et coordonnées de manière à atteindre les objectifs actuels et futurs de réduction des émissions.

Étape 3 : réorienter les fonds vers des investissements en phase avec les ODD

Le PNUD a mis à profit ses expériences et son expertise en matière de politiques, ainsi que sa présence sur le terrain dans le monde entier, pour créer le guide « Investissements d'avenir : guide pour une réforme équitable de la tarification de l'énergie ». Ses idées et recommandations politiques sont destinées à aider les gouvernements à introduire des réformes de tarification de l'énergie afin qu'elles aient un impact sur l'environnement, qu'elles soient économiquement viables et socialement équitable. La campagne « Ne choisissez pas l'extinction » est la réponse du PNUD à ce défi monumental. Lancée en amont du sommet des Nations Unies sur le climat (COP26) en novembre 2021, la campagne appelle à la suppression des combustibles fossiles : une étape indispensable dans le parcours vers une reprise inclusive et verte suite à la pandémie de COVID-19. Il s'agira d'une étape cruciale dans la transition mondiale vers des économies durables et vertes qui ne laissent personne de côté.